• Les vieux «Homo» tous «erectus»

    Récit L'étude des hommes fossiles de Dmanisi, en Géorgie, qui vivaient il y a 1,8 million d'années, bouscule les classifications des préhistoriens. Emerge un grand voyageur, baladeur de gènes.

    Un choc de simplification. Ayrault et Hollande en ont rêvé. Une équipe de préhistoriens l'a fait. C'est annoncé ce matin par la revue Science, dans un article retentissant, dont le premier auteur est David Lordkipanidze, du Muséum de Tbilissi en Géorgie. Soyons «parcimonieux», proclament les huit signataires (1). Vidons dans la poubelle de la science tous les Homo habilis, Homo ergaster et autres Homo rudolfensis qui ont peuplé l'Afrique et l'Eurasie il y a 1 à 2 millions d'années selon les manuels en cours. Et ne conservons pour désigner tous ces êtres qu'un seul nom, celui d'Homo erectus, ou homme érigé, car ils ne formaient qu'une seule espèce.

    Zut de zut ! Et comment inscrire son nom dans l'histoire des sciences vont se demander certains ? Si, désormais, on ne peut plus attacher son patronyme à la création d'une espèce nouvelle, décrite à l'aide de caractères censés la distinguer de ses voisines. Cette simplification radicale est proposée par les chercheurs, sur la base d'une analyse impitoyable de la variété de ces espèces… au regard de la seule variabilité observée dans un seul groupe, de cinq individus, tous dénichés dans une seule grotte, à Dmanisi, en Géorgie. Située à 90 km au sud-ouest de Tbilissi, elle a fait parler d'elle lorsqu'à partir de 1991 et surtout de 1999, on y a découvert des os fossiles d'Homo, datés d'il y a 1,8 million d'années. Des êtres dont les outils de pierre, trouvés par milliers, sont de simples galets percutés pour obtenir un tranchant, typiques de la culture oldowayenne apparue en Afrique de l'Est.

    Homo, pour le genre, mais Homo quoi pour l'espèce ? Leur découvreur, David Lordkipanidze a longtemps hésité entre les noms que la littérature scientifique et ses collègues lui proposaient. Pas franchement convaincu par l'un plutôt que par l'autre. La raison de son hésitation ? Les différences entre les individus qu'il dénichait, aucun ne se rattachant de manière claire et univoque aux canons proposés.

    Puis, son équipe découvre en 2005 un crâne entier, superbement conservé, correspondant à une mandibule inférieure déjà trouvée en 2000. Son équipe s'attaque alors à l'étude détaillée de la variabilité morphologique des cinq individus.

    Le pot aux roses émerge des statistiques et mesures des volumes des crânes, de la verticalisation des faces, et d'autres paramètres anatomiques. La variabilité interne au groupe se révèle très forte. Car le dernier crâne trouvé - un individu aux énormes bourrelets sus-orbitaires et attaches des muscles masticatoires, avec un front très bas - «élargit substantiellement la plage de variation à l'intérieur du groupe de Dmanisi», expliquent les auteurs.

    Bushmen.Les Homo de Dmanisi présentent une variabilité si large qu'elle devient similaire à celle qui sépare les autres espèces antérieurement nommées pour cette époque et qu'elle les englobe en grande partie. Du coup, les caractères censés être particuliers et exclusifs à ces espèces ne le sont plus. En outre, remarquent les auteurs, une telle plage de variation se compare à celle des chimpanzés. Voire à celle des humains actuels où le volume du crâne varie d'à peine plus de 800 cm3 chez les bushmen d'Afrique australe, jusqu'aux 2 000 cm3 des grosses têtes… qui n'ont rien de super-intelligents, tandis que l'écrivain Anatole France affichait à peine plus de 1 100 cm3. Pour José Braga, anthropologue, de l'université Paul-Sabatier à Toulouse, «c'est un article fort intéressant et étonnant, notamment sur le petit volume de leur cerveau. Cela va à l'encontre d'une évolution linéaire du cerveau à cette époque, mais au contraire en faveur d'une stagnation durant un million d'années».

    D'où la question logique, posée par les scientifiques : puisque les frontières tracées entre les espèces d'Homo d'il y a 1 à 2 millions d'années s'effacent, ne s'agit-il pas plutôt d'une seule espèce ? Cela signifierait, alors, qu'il n'y avait pas de barrière génétique à la reproduction croisée entre ces populations. Or, si un(e) Homo rudolfensis peut faire des bébés avec un(e) ergaster, habilis ou georgicus, c'est tout simplement qu'ils sont tous… erectus concluent les chercheurs.

    Le problème soulevé n'est pas uniquement classificatoire. Il rejaillit sur la vision de l'évolution de ces ancêtres des humains actuels. L'idée d'un «goulet» d'étranglement génétique, en raison d'une sortie d'Afrique d'un seul petit groupe, donc porteur d'une partie réduite de la diversité d'origine, ne tient plus guère.

    Ornements. D'autre part, comme ll'individule plus «archaïque» de Dmanisi ressemble fort à «l'homme de Java», Homo erectus pourrait bien avoir été un grand voyageur, baladant ses gènes et les échangeant dans toute l'Eurasie mais aussi avec ses congénères restés africains. «Un Homo erectus baladeur, capable de s'adapter à des environnements assez différents», dit Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France. Mais pourtant toujours «bas du plafond». Le saut décisif date d'il y a 200 000 ans, et produisit le gros cerveau de l'homme moderne. Un gros cerveau avec lequel il invente de premiers ornements il y a plus de 70 000 ans puis des outils de plus en plus efficaces, au point de lui permettre d'aller sur la Lune, il y a peu.

    (1) David Lordkipanidze et al., «Science», 18 octobre 2013.


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